Amzat Boukari-Yabara – Un pouvoir derrière chaque africain

Opinion Libre de Amzat Boukari-Yabara.

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Amzat Boukari-Yabara est docteur en histoire et géopolitique de l’Afrique à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, en France, et chercheur indépendant. Spécialiste de l’histoire politique et culturelle du panafricanisme, il est l’auteur, entre autres, de Africa Unite! Une histoire du panafricanisme (2014, Editions La Découverte).

Les choses se doivent d’être clarifiées : Les panafricanistes gagneront la bataille des idées. L’Afrique gagnera la bataille des idées. Le souci est que cette bataille s’inscrit dans la longue durée.

Produire un savoir lié à l’action

Dans cette bataille des idées qui concernent le continent africain, les avancées sont contrariées par un ordre interne et international hostile. C’est le principe d’une dynamique avec des paradoxes et des contradictions. Et ces contradictions, il faut être en mesure de les structurer en produisant un savoir qui soit lié à l’action. C’est le grand défi de la praxis, c’est-à-dire, comment lier la théorie et la pratique. Et ce n’est que sur le terrain que s’exprime cette connexion entre la théorie et la pratique. C’est la raison pour laquelle, au-delà des diplômes, il convient d’avoir non seulement des intellectuels de terrain, mais aussi un savoir qui soit le produit du terrain.

Le panafricanisme n’est pas fermé aux non-africains tant que ces derniers respectent et se plient aux intérêts africains. Mais le panafricanisme constitue un espace privilégié de rencontres, de dialogues, pour repenser notre identité, retrouver notre sérénité et pour reconstruire notre force aujourd’hui en fonction d’une politique débarrassée des vieilles allégeances racistes et colonialistes.

Amzat Boukari-Yabara

Dans cette perspective, les Africains peuvent et même se doivent de revenir à des méthodologies comme celles de Cabral. Amilcar Cabral analysait les structures sociales de la Guinée-Bissau et du Cap-Vert et, à partir du fonctionnement social des populations, construisait un modèle politique. Ce qui faisait que le social s’imbriquait naturellement dans la dimension politique. L’enjeu est de sortir le paradigme de la démocratie hors de son impasse postcoloniale et plus généralement eurocentrée, et de revenir à des concepts beaucoup plus endogènes du pouvoir.

Les expériences panafricaines doivent être enseignées dans le cursus scolaire et universitaire africain d’histoire, de sciences politiques, de droit et de relations internationales. Le défi du panafricanisme est donc de décoloniser les humanités et la science politique en montrant par exemple que la souveraineté est inaccessible tant que des Africains ne mettront pas à disposition d’autres Africains l’histoire des moyens économiques et politiques permettant de construire ensemble un système propre en dehors des interférences et ingérences externes.

Cela passe par une capacité à déléguer la légitimité, l’autorité et la crédibilité du pouvoir à ceux que l’on rejette trop régulièrement, et parmi eux, notamment une grande majorité d’africains pauvres. Or, dans l’expérience des pauvres, ceux que l’on appelle les « pauvres décents », ceux qui ont une dignité mais qui sont pauvres et se battent, il y a énormément de choses à apprendre et à comprendre. En tout cas beaucoup plus que du côté de ceux qui dirigent et qui vivent dans la luxure et l’opulence.

L’instauration d’un rapport de force interne peut amener ceux qui pensent que l’Afrique n’avancera pas à prendre conscience que l’évolution historique ne peut que pousser l’Afrique à avancer ou à disparaître, et que les forces contraires qu’ils représentent finiront par plier.

Relever le défi économique : celui de la réappropriation de nos ressources

Au-delà, de la question de ce rapport de force interne, l’un des défis les plus importants, pour l’Afrique et les Africains, est celui du développement. Le continent doit relever un défi économique majeur: Celui de la réappropriation de nos ressources.

La question économique est cruciale parce que l’Afrique aujourd’hui finance le monde entier. C’est en Afrique que l’on vient chercher les ressources les plus importantes et il est important de réorienter cette relation de l’Afrique au Monde. Il est important de mettre en place, notamment, une préférence diasporique, de favoriser le retour des fils et des filles de la diaspora sur le continent africain pour faire en sorte que l’Afrique puisse bénéficier de toutes les cartes possibles. Et pour aller dans cette direction, il faut s’appuyer sur deux figures, qui sont celles qui ont le plus terrorisé l’establishment blanc au 20ème siècle. La première, c’est Marcus Garvey qui a fait passer des nuits blanches à Edgar Hoover, directeur du FBI. La deuxième, c’est Malcolm X.

L’Afrique doit s’unir ou périr tout simplement. L’enjeu n’est pas le gain, l’enjeu, c’est la survie. La survie de l’Afrique, la survie des Africains en tant qu’êtres humains dotés de dignité et de force, capables d’aimer et de produire. C’est extrêmement important par les temps qui courent.

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Marcus Garvey, parce que l’UNIA (l’Universal Negro Improvement Association) était une internationale noire, avait compris que le pouvoir réside dans la décentralisation et dans la diversification des lieux de pouvoir. C’est-à-dire que lorsque vous mettez le pouvoir dans un lieu précis, il est facile de le dégommer. Lorsque le pouvoir est dans la capitale ou le palais présidentiel, il suffit de bombarder le palais présidentiel et vous avez le pouvoir. Lorsque vous créez des micro-centres de pouvoir, il est impossible de vous déboulonner.

Prenons l’exemple de Kadhafi. Le pouvoir en Libye résidait sur Kadhafi. Lorsque Kadhafi était à Benghazi, le pouvoir était à Benghazi. Quand il était à Tripoli, le pouvoir était à Tripoli. Quand il était à Syrte, le pouvoir était à Syrte. C’est à la fois toute l’ambition et l’imperfection de sa « troisième théorie universelle » de ne pas avoir compris qu’est universel ce qui est partout présent simultanément, et est mondial ce qui se déplace partout mais successivement. Pour reposer sur le peuple sous la forme d’une démocratie directe, le pouvoir ne doit pas s’inscrire dans la succession sous peine de développer un autoritarisme mais dans la simultanéité des forces. Ce qu’il fallait mettre en place dans ce fameux Etat des masses, cette fameuse Jamahiriya, c’était des micro-centres de pouvoir faisant que le pouvoir ne se résume pas à l’exercice du plus fort ou du plus nombreux. De telle sorte que chaque tribu soit réellement, politiquement associée au pouvoir. L’OTAN aurait été incapable de bombarder chaque tribu dans le fin fond du désert.

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Prenons le cas de l’Union Africaine (UA). L’UA est centralisée sur Addis-Abeba, capitale d’un pays dont les frontières sont fermées à de nombreux ressortissants Africains. Outre le fait qu’elle soit financée par des bailleurs de fonds étrangers et que son siège ait été construit par les Chinois, il est important de décentraliser et décoloniser cette institution, pour la rendre à tous les Africains. Il faut sortir de cette notion du pouvoir centralisé et l’UNIA a montré comment on crée des structures décentralisées, comment on ouvre des sections. Même si l’UNIA a ensuite été scindée en plusieurs chapelles avec l’accord tacite du FBI, entre autres. Le rôle du FBI ou de l’OTAN dans la destruction de l’UNIA comme de la Libye, montre qu’un gouvernement panafricaniste ne peut que se réaliser sur le modèle d’un gouvernement de guérilla, c’est-à-dire avec un pouvoir décentralisé et circulatoire, un pouvoir incarné par chaque Africain qui se déplace dans le monde.

Le deuxième cas, c’est celui de Malcolm X avec l’Organisation de l’unité afro-américaine qu’il a créée en 1964, dans le but de rassembler tous les Noirs vivant en dehors du continent africain et de faire la jonction Afrique-Diaspora. Malcolm X n’a pas été assassiné en raison de son départ de Nation of Islam ou de ses propos sur le président John F. Kennedy, mais parce qu’il a commencé à parler de Patrice Lumumba et du Congo, et de rassembler, comme Garvey, les Africains du monde entier dans une même organisation. A partir de ce moment, les mêmes forces qui venaient d’éliminer Patrice Lumumba avaient intérêt à éliminer Malcolm X.

Un pouvoir derrière chaque africain

Aujourd’hui, il faut repenser cette dynamique de l’interconnexion entre les forces de la diaspora et les forces du continent, et repenser également la notion de micro-centres de pouvoir pour faire en sorte que derrière chaque Africain sur terre, il y ait un pouvoir. De la même manière qu’aujourd’hui, derrière chaque Chinois sur terre, il y a un pouvoir. Ainsi, si à travers le monde on nuit volontairement à ressortissant Chinois, la Chine réagira en conséquence. La Chine qui est une puissance continentale, sait ce qu’elle doit à sa diaspora et protège sa diaspora en fonction de ses intérêts.

Par conséquent, il faut arriver à créer cette connexion et à utiliser deux, trois pôles particulièrement symboliques. Haïti est l’exemple parfait pour la diaspora, qui est considérée comme la Sixième région de l’Union Africaine mais, qui ne bénéficie pas de projet d’intégration réel. Haïti est un pion essentiel, qui peut permettre un rayonnement panafricain et pan-caraïbéen dans toute la diaspora, tout en opposant une réponse à la politique de francophonie, car le panafricanisme a été historiquement défait en raison de l’alignement des Africains francophones sur Paris. Il y a une sensibilité au panafricanisme qui est très importante, y compris en Amérique centrale, jusqu’au Brésil sur le plan des mouvements politico-culturels et au Venezuela dans la réactualisation du bolivarisme.

En outre, le cas de la République Démocratique du Congo, pour le continent africain est également inspirant. On ne dira jamais assez que la RD Congo, loin de l’image de pauvreté que donnent les médias et les rébellions, est un Etat continent qui détient la totalité des minerais qui sont présents sur le tableau géologique et qui a la capacité, à elle seule, de nourrir l’intégralité du continent pour ne pas dire l’intégralité du monde. La libération de la RDC du système de prédation néo-impérialiste doit être le cœur de la réhabilitation et de la renaissance de l’Afrique et l’objet des luttes et des sacrifices panafricains.

Il ne faut pas simplement se contenter de produire du savoir. Il faut mettre ce savoir à disposition et transformer ce savoir en action.

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Pour parvenir à tout cela, il est important de réhabiliter l’histoire africaine, de réhabiliter les combats qui ont été menés par nos pères et nos mères. Il faut donc produire du savoir, de la science. Il est également important d’adapter les parcours des personnes comme Amilcar Cabral, Patrice Lumumba, Kwame Nkrumah, Um Nyobe, Julius Nyerere, Malcolm X ou Walter Rodney à l’actualité de manière à inspirer. Aujourd’hui, il s’agit d’inspirer la jeunesse, de lui donner des modèles qui soient accessibles pour lui éviter de continuer à risquer sa vie pour rejoindre un Occident en déclin, un Occident qui lui fait miroiter des richesses qui ont souvent été volées en Afrique même.

Pour parvenir à tout cela, il faut également s’engager politiquement, apprendre à structurer des réseaux, aider la jeunesse à s’organiser. Cela prend du temps, mais c’est une obligation. Il ne faut pas simplement se contenter de produire du savoir. Il faut mettre ce savoir à disposition et transformer ce savoir en action.

Le panafricanisme est une obligation

S’il est vrai que les hommes se battent pour des avantages matériels et non pour des idées, pour paraphraser Amilcar Cabral, aujourd’hui, l’Afrique ne peut plus se permettre de réfléchir en termes de gains. Le panafricanisme est une obligation. C’est une nécessité. Lorsque Nkrumah disait que l’Afrique doit s’unir. C’était une évidence. L’Afrique doit s’unir ou périr tout simplement. L’enjeu n’est pas le gain, l’enjeu, c’est la survie. La survie de l’Afrique, la survie des Africains en tant qu’êtres humains dotés de dignité et de force, capables d’aimer et de produire. C’est extrêmement important par les temps qui courent.

Aux Etats-Unis, au Brésil, en Inde, même en France, la condition africaine est de plus en plus stigmatisée, de plus en plus marginalisée, et de moins en moins protégée. Parce que les Etats africains ne sont pas en mesure de protéger les ressortissants Africains au-delà de leurs frontières, ils ne les protègent même pas à l’intérieur de leurs frontières.

Aujourd’hui, il faut repenser cette dynamique de l’interconnexion entre les forces de la diaspora et les forces du continent, et repenser également la notion de micro-centres de pouvoir pour faire en sorte que derrière chaque Africain sur terre, il y ait un pouvoir. De la même manière qu’aujourd’hui, derrière chaque Chinois sur terre, il y a un pouvoir.

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Sur la décennie qui vient, il y a un travail très important à faire auprès de la jeunesse, auprès également des plus âgés parce que des générations vont partir et des relais restent à transmettre. Il faut sensibiliser, il faut motiver davantage les Africains et les Africaines. On a besoin d’intégrer massivement les Africaines parce que ce sont elles qui ont une grande partie de la solution politique, économique et sociale, même si cela prendra surement une décennie.

D’ici une décennie, le continent africain comptera des organisations panafricanistes beaucoup plus structurées, suivant par exemple le modèle de la Ligue Panafricaine Umoja (LP-U : http://fr.umoja-org.com/). Cette organisation n’est la seule, à militer pour l’avènement des Etats-Unis d’Afrique, il y en a beaucoup sur le continent africain et dans la diaspora. Toutes les semaines, des courriers de ces diverses associations, de personnes qui sont isolées s’échangent. Le besoin de se regrouper est réel et les Africains de la diaspora expriment de plus en plus une volonté de revenir sur le continent africain.

Pour la réconciliation de tous les africains

Ainsi, le jour où un chef d’Etat africain sera en mesure de dire : J’ouvre officiellement mon territoire à la diaspora, j’accorde une ambassade à tous les mouvements panafricanistes qui sont dignes de foi, je suis en mesure de mettre en place des entreprises qui seront en relation avec la diaspora, ces entreprises de la diaspora sont privilégiées avec les entreprises locales sur l’attribution des marchés publics ; le jour où la première voiture africaine, créée par le Nigeria, sera d’office la voiture de tous les gouvernements africains et de tous les Africains de la diaspora ; le jour où toutes ces choses là se mettront en place, l’Afrique sera autonome, indépendante, et n’aura pas besoin d’aller faire la guerre ici ou là.

La vocation de l’Afrique, contrairement, au reste du monde, n’est pas d’exporter la destruction et la terreur dans le monde entier, mais de protéger ses filles et ses fils, et surtout d’être garant d’une certaine mesure vis-à-vis du comportement de l’humanité. Une humanité dont on voit, qu’en dehors du continent africain, est en train de décliner.

L’enjeu est de sortir le paradigme de la démocratie hors de son impasse postcoloniale et plus généralement eurocentrée, et de revenir à des concepts beaucoup plus endogènes du pouvoir.

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Malheureusement le continent africain est un miroir de ce déclin de l’humanité. Le panafricanisme, ce n’est pas un messianisme. Le panafricanisme ne doit pas se concevoir comme l’avènement d’un messie, d’une figure éminente mais plutôt comme un travail collectif qui permet à chacun de donner un sens dans sa vie, d’acquérir de l’expérience, d’apprendre à s’organiser.

Ce sont tous ces éléments qui appellent aussi à une réhabilitation des cultures, des traditions ou religions africaines, débarrassées des formes de superstition et de folklore rétrogrades mais également renforcées par l’interaction avec les religions afro-caraïbéennes qui sont extrêmement dynamiques, qui sont souvent beaucoup plus intéressantes qu’on ne le croit et qui sont trop délaissées par le continent africain.

C’est cette réconciliation, Isis qui reconstitue le corps d’Osiris, qui fait la particularité du panafricanisme, cette réconciliation de tous les Africains, du continent et de la diaspora, dans un même ensemble qui n’est pas exclusif mais post-tribal. C’est à dire qu’il ne ferme pas la porte à ceux qui ne sont pas africains et il ne détruit pas les identités locales. Le panafricanisme n’est pas fermé aux non-africains tant que ces derniers respectent et se plient aux intérêts africains. Mais le panafricanisme constitue un espace privilégié de rencontres, de dialogues, pour repenser notre identité, retrouver notre sérénité et pour reconstruire notre force aujourd’hui en fonction d’une politique débarrassée des vieilles allégeances racistes et colonialistes.

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Comments 4

  • jacques Rivkine13 juin 2017 at 21 h 03 min

    Bon, je suis d’accord avec le professeur Amzat Boukari-Yabara , mais permettez moi d’interroger comment l’Afrique peut elle avancer quand ses meilleurs chercheurs, professeurs, intelectuels choisissent les universités de France, de Suisse et d’Europe. A quoi servent des universités en Afrique sans professeurs, des hopitaux sans docteurs, des ateliers sans ingénieurs etc etc ?

  • SOWAH Agnitè14 juin 2017 at 16 h 27 min

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  • Tsenn19 novembre 2017 at 17 h 26 min

    Bien dit mon frère!

  • Diapy Redoine Diawara5 juin 2019 at 18 h 27 min

    Pour l’Afrique et pour toi Mali, notre drapeau sera unité
    Pour l’Afrique et pour toi Mali, notre combat sera liberté
    (Refrain de l’hymne national du Mali )
    Ceci dit tout des pensées des visionnaires post-indépendance de l’Afrique.

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