Les frontières en Afrique : héritage du passé colonial, enjeu actuel

Par Ladji Karamoko Ouattara | Doctorant à l’Institut d’études européennes


CONTEXTE DE L’AVENEMENT DES FRONTIERES EN AFRIQUE

Au début du XXème siècle, la plupart des frontières de l’Afrique sont établies, annonçant la configuration des Etats à venir. Ces frontières tracées au gré des puissances coloniales ont fait fi des réalités ethniques, linguistiques, religieuses et politiques des peuples africains. La négligence et la méconnaissance du substrat géographique et des divisions politiques traditionnelles engendrèrent une série de difficultés que les commissaires d’abornement furent les premiers à relever. Elles tenaient compte parfois des limites naturelles infranchissables, mais pouvaient aussi bien tracer des lignes droites sur l’inconnu et les appeler frontières. Ces propos de Lord Salisbury, lui-même un des grands « partageurs du gâteau » africain se passent de commentaire : « Nous avons entrepris de tracer sur les cartes des régions où l’homme blanc n’avait jamais mis le pied. Nous nous sommes distribué des montagnes, des rivières et des lacs, à peine gênés par cette petite difficulté que nous ne savions jamais exactement où se trouvaient ces montagnes, ces rivières, ou ces lacs ». Dès lors, des ensembles territoriaux ont été formés regroupant des entités peu homogènes et plus de 177 peuples ou groupes ethniques se sont trouvés éparpillés à travers plusieurs Etats. Les frontières qui ont donc été établies renferment des communautés différentes, voire antagonistes, chargées souvent de multiples forces explosives, constamment menacées de désagrégation.

Les mouvements successifs de la colonisation ont créé de nouvelles frontières nées d’un découpage en fonction d’intérêts politiques et économiques extérieurs. La frontière ligne, nouvelle donnée géopolitique en Afrique, constitue un marqueur rigide de l’espace politique et aussi un marqueur exclusif d’une identité administrative. C’est désormais par rapport à un espace délimité par des frontières reconnues que s’exerce le pouvoir en Afrique.Ainsi, les peuples colonisés vivaient-ils la réalité des lignes de partage scindant des groupes consanguins, les éloignant de leurs territoires de rituels, de culture, de chasse et de pêche. Les colonisés  surtout dans les colonies françaises, ont parfois tenté de s’y soustraire, en jouant de ces délimitations pour échapper à la répression, aux prestations obligatoires et au paiement de l’impôt.

Du fait de ces contraintes, ils les ignoraient volontairement pour se réfugier dans les colonies anglaises où le système d’exploitation était plus souple et rejoindre des alliés ou des parents restés de ce côté selon des pratiques anciennes. A travers ces mouvements de  populations tout au long de l’histoire coloniale, les frontières sont restées dans bien des cas, des données non réellement intériorisées face au poids des solidarités ethniques liant les populations entre elles.

Frontière-Cameroun-Guinee-Equatoriale

LES PERES FONDATEURS ET LA GESTION DE L’HERITAGE COLONIAL
Au moment des indépendances, les nouveaux Etats africains étaient confrontés aux conflits de contestations de frontières. Le nombre de différends frontaliers était impressionnant, Robert Waters en compta trente-deux. Conscients donc de la fragilité de leurs pays respectifs délimités par des frontières artificielles et du danger que constituait le maintien d’une telle situation, certains dirigeants africains se sont évertués à appeler à la remise en cause  du tracé territorial colonial. Ces partisans de la révision des frontières estiment qu’il parait logique que l’Afrique post-coloniale entreprenne de revenir sur les erreurs des découpages coloniaux. Car les assises territoriales des Etats africains, nés des arrangements coloniaux, ne tenaient pas compte des spécificités propres qui devaient être essentielles à la cohésion sociale et au renforcement de l’unité en leur sein. Pour dénoncer ce partage préjudiciable à la viabilité durable des Etats africains, ils ont fait du démantèlement des frontières coloniales une préoccupation prioritaire. C’est dans ce sens que les dirigeants africains, favorables à la remise en cause des frontières, réunis au sein du « Groupe de Casablanca » voulaient une refonte des  frontières africaines en 1963.

D’autres dirigeants par contre, souhaitaient le maintien du tracé hérité de la colonisation. Pour ce second groupe de dirigeants, appelé « Groupe de Monrovia », le statu quo territorial avait comme objectif la stabilité des frontières coloniales, permettant de sécuriser les confins des Etats africains nouvellement indépendants. Ceci pour consolider les nations et à terme, réussir à les transformer en Etats-nations. Il paraissait donc sage et prudent de maintenir le legs territorial colonial, condition sine qua non d’une paix entre les Etats et en leur sein et de possibilité de développement réel. Voilà grosso modo l’essentiel de l’argument des tenants du statu quo territorial.

Durant les premières années des indépendances africaines, une des préoccupations majeures des pères fondateurs fut la question de la configuration à donner aux frontières léguées par la colonisation. Elle se posait en ces termes: fallait-il remettre en cause le tracé colonial et ouvrir la voie à des incertitudes et à l’instabilité ou l’accepter et permettre ainsi l’instauration d’un climat de sérénité et de paix dans les rapports inter-étatiques ?

C’est dans ce contexte de forte controverse au sujet des frontières des Etats africains, que la Conférence des Chefs d’Etats et de Gouvernements de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) réunie au Caire, opta en faveur du « respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de chaque Etat et de son droit inaliénable à une existence indépendante ». Pour expliciter davantage cette disposition, ils adoptèrent une résolution spécifique [Résolution AHG/Res.16(I)] dite de l’intangibilité des frontières africaines, le 21 Juillet 1964. En termes plus clairs, « elle déclare solennellement que tous les Etats membres s’engagent à respecter les frontières existant au moment où ils ont accédé à l’indépendance». Elle consiste en une interdiction faite aux Etats membres d’exprimer toute revendication territoriale et de vouloir procéder à une modification du tracé colonial au détriment d’un Etat tiers. L’enjeu étant d’empêcher les conflits dus aux remises en cause de frontières en Afrique. Pour les dirigeants africains, cet impératif  concerne d’une part, toute agression extérieure venant d’un autre Etat, et d’autre part, tout mouvement sécessionniste venant de l’intérieur de nature à mettre en cause les frontières issues des indépendances.

Les pages qui suivent, visent dans une perspective historique et socio-politique, à donner des éléments de réponse aux questions suivantes : quel bilan peut-on établir cinquante ans (1964-2014) après l’adoption du principe d’intangibilité comme principe de gestion des frontières en Afrique? Le choix de continuité et de non remise en cause des frontières coloniales jugées pourtant arbitraires a-t-il pu atteindre l’objectif de paix et de stabilité qui l’a motivé ? Comment pourrait-on parvenir à surmonter les défis liés aux problèmes de frontières en Afrique?

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