Crise centrafricaine : Les fondements, la revanche de cancres et le forum de Bangui – Jean-François Akandji-Kombé
Jean-François Akandji-Kombé, professeur des universités en droit public, codirige le Département Droit social de l’Institut de recherche juridique de la Sorbonne ainsi que le Master recherche Droit social de Paris 1. Doyen honoraire de la Faculté de Droit de Caen, il est également président de l’institut panafricain d’action et de prospective (IpaP).
Dans cet entretien, Jean-François Akandji-Kombé revient les fondements de la crise en République centrafricaine, explique pourquoi nous assistons à la revanche des cancres et expose ses idées quant au projet de nouvelles constitutions pour la République Centrafricaine et plus généralement pour les pays africains.
Quelques verbatims extraits de l’interview.
Sur la marginalisation de l’Afrique par l’Europe
Cela fait déjà très longtemps déjà que l’Afrique, et par voie de conséquence, le groupe des Etats ACP (Afrique Caraïbes Pacifique) n’est plus au cœur des objectifs des politiques extérieures de l’Union Européenne. Ce temps où l’Afrique était dans le projet européen n’est plus. Et le début de la marginalisation de l’Afrique dans cette relation là et dans la construction idéelle de l’Europe, ce sont les élargissements vers des pays qui n’avaient pas de tradition ni relation avec les pays africains. Ces élargissements vers le Sud puis vers l’Est ont été très coûteux pour l’Union Européenne. Le budget de l’UE ne peut s’accroître indéfiniment, il est contraint dans quand vous allouez à une politique, vous retirez nécessairement à une autre politique. Et, pour faire du mauvais esprit, je note que la question des droits de l’homme est apparue à peu près à ce moment là. C’est un élément qui permet de discriminer, c’est-à-dire de séparer, sur un certain nombre de critères, des Etats qui étaient censés être traités sur une base égale.
Sur la revanche des cancres en République Centrafricaine
Je ne partage pas totalement les thèses qui consistent à imputer à l’histoire la responsabilité de ce qui se déroule aujourd’hui plus de 50 ans après les indépendances. La colonisation explique beaucoup de chose, mais la violence qui se déroule, aujourd’hui, en république centrafricaine, est une manifestation de quelque chose qui m’apparaît beaucoup plus grave, plus préoccupant que j’appelle la revanche des cancres. L’imbécillité politique et l’absence de vision sont arrivées en République centrafricaine, comme une étape dans une descente aux enfers…
Sur l’incurie politique et le rôle de la France en République centrafricaine
La République Centrafricaine n’est pas un pays des extrémismes. Cette violence là n’est pas une violence innée. Elle n’est pas non plus une violence que l’on peut imputer à la colonisation en tant que telle. Elle relève de l’incurie politique. Et cette incurie politique a été entretenue. En République Centrafricaine, vous ne pouvez pas devenir président si vous n’avez pas prêté allégeance à la France, à l’extérieur. Et vous ne pouvez y réussir un coup d’Etat, si vous n’avez pas au moins le consentement « neutre » des autorités et des troupes qui sont là.
Le Forum de Bangui
Le forum a donné des raisons de croire dans un lendemain meilleur pour la République Centrafricaine… Il en est sorti un certain nombre de recommandations qui me semblent constituer un terreau pour la construction d’une République centrafricaine neuve, fondée sur des principes qui sont ses principes propres et déterminées à aller de l’avant mais pas sans que justice soit faite. Il faut juger les criminels. Il faut retisser le lien national. Il faut exclure de l’espace public et de l’espace politique, ceux qui ont pris les armes et qui par ce fait là même se sont exclus. Il faut que le peuple recouvre sa souveraineté sur ses ressources naturelles.
Il y a cependant toutes les raisons de s’inquiéter et de craindre que ce forum va se terminer comme les nombreux autres dialogues qui ont précédé.
Sur « la provocation à la norme »
Nous avons en Afrique un fonctionnement qui est une sorte de provocation à la norme. La norme n’est pas nous. La norme vient d’ailleurs. Et en matière constitutionnelle, quand on est en République Centrafricaine, la norme vient de la constitution française. La normalité constitution que nous trouvons dans les manuels et que nous écrivons procède d’une démarche de rationalisation du réel, qui part du réel et tente de lui donner un sens. Et c’est ce sens que d’autres ont tenté de donner et qu’un certain nombre de juristes vont saisir en nous disant que c’est ce qui doit être appliqué dans le réel centrafricain.
J’espère que demain, il sera possible, en République Centrafricaine, comme ailleurs en Afrique, de se construire de véritables constitutions, qui soient l’expression du génie de chacun de ces peuples là dans une transaction avec l’universalité.
Sur l’insertion des ressources naturelles dans les constitutions africaines
Il y a deux branches [à l’alternative que je propose]: La souveraineté permanente sur les ressources naturelles. L’inscription des ressources naturelles comme patrimoine commun.
Il y a une nécessité pratique aujourd’hui que les africains puissent avoir la voix au chapitre quant à la gestion de leurs ressources naturelles, quant à l’exploitation de leurs ressources naturelles, et quant aux bénéfices des fruits de cette exploitation là. D’où la deuxième branche de l’alternative qui me permet d’affirmer que ces ressources constituent un patrimoine commun du peuple. Cela veut dire que, dans le contexte, centrafricain, il faut lutter contre les tentations d’appropriations quasiment privées, quasiment ethniques, quasiment villageoises des ressources.