Pour une politique de civilisation africaine

Par Adam Abdou Hassan

La politique de civilisation africaine a pour ambition de replacer l’homme dans sa cosmogonie et ses savoirs ancestraux afin de DĂ©coloniser l’esprit, mais surtout d’offrir une nouvelle utopie aux populations des 54 États africains.

Bi, « hier », est Bi Bio, le « double d’hier », l’ombre du passĂ©, mais aussi Souba, « demain », l’avenir. Cette affirmation du philosophe nigĂ©rien Boubou Hama vise Ă  penser l’amĂ©lioration du prĂ©sent en puisant dans le passĂ©, c’est-Ă -dire lorsque Le double d’hier rencontre demain. Les fictions et les dogmes devenant de plus en plus des rĂ©alitĂ©s, il est important de dĂ©terminer des contributions dans lesquelles la pensĂ©e consolide ou dompte ces conduites. La civilisation Ă©tant la rĂ©alitĂ© rendue perceptible et comprĂ©hensible par les faits, l’archĂ©ologue et ethnologue allemand, LĂ©o Frobrenius, dans son ouvrage Histoire de la civilisation africaine, nous rappelle que la civilisation naĂźt lorsque l’essence des choses se rĂ©vĂšle Ă  l’homme, quand, prĂȘt Ă  s’abandonner, il se laisse saisir par cette essence, permettant ainsi Ă  l’homme de jouer la rĂ©alitĂ©.

Dans cette perspective, La politique de civilisation renvoie Ă  une politique de l’homme, elle vise Ă  s’écarter de l’ethnocentrisme, de l’exploitation capitalistique de l’homme, des querelles de pouvoirs etc., et s’inscrit dans une tradition sĂ©culaire africaine nonobstant une Afrique ambigĂŒe. Loin d’ĂȘtre un concept ancien ou un concept impertinent dans un monde globalisĂ© dans lequel « l’unitĂ© nĂ©gative » se matĂ©rialise par la fusion d’une multitude de facteurs pĂ©joratifs ayant rendu la servitude volontaire possible, la tradition est consubstantielle Ă  l’idĂ©e contemporaine de modernitĂ©.

C’est Ă  juste titre que le philosophe camerounais, Fabien Eboussi Boulaga, souligne que la tradition est un ĂȘtre-ensemble et un avoir-en-commun qui appellent Ă  une destinĂ©e commune par un agir-ensemble, dans La crise du Muntu. Avec les conflits et les crises actuelles que connaissent une multitude d’États africains, L’urgence de la pensĂ©e rend vitale la relecture des philosophes africains tombĂ©s dans l’oubli. Il importe de re-questionner L’État importĂ©, les conflits, les ethnicitĂ©s fabriquĂ©es et manipulĂ©es, au profit des Ă©lites, des multinationales et d’États tiers. Pour ce faire des ressources non exhaustives et Ă  complĂ©ter rĂ©guliĂšrement existent, dont l’une des premiĂšres rĂ©side dans la voie du consciencisme.

La voie du consciencisme

Le consciencisme renvoie Ă  une rĂ©volution sociale, une rĂ©volution intellectuelle, dans laquelle la pensĂ©e et la philosophie seront axĂ©es sur la rĂ©demption de la sociĂ©tĂ©. Cette assertion de Kwame Nkrumah vise Ă  placer l’homme au centre de la redĂ©finition d’une politique prenant en compte les valeurs africaines. En ce sens, la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples du 27 juin 1981 tient compte de ce qu’elle appelle les vertus des traditions historiques et des valeurs de civilisation africaine, qui doivent inspirer et caractĂ©riser les rĂ©flexions des pays africains sur les droits de l’homme en gĂ©nĂ©ral et sur leurs politiques socioĂ©conomiques en particulier.

La projection du consciencisme dans les politiques publiques Ă©tatiques aurait permis d’éviter les violences ethniques, d’avril 2016, entre l’Éthiopie et le Soudan du Sud ou encore le problĂšme de la xĂ©nophobie en Afrique du Sud depuis 2008 et le dĂ©but de l’annĂ©e 2017.

Le consciencisme vise Ă  renouer avec les conditions de vie et le modĂšle politique interne aux populations africaines par une dĂ©connexion au modĂšle politique occidental importĂ©. La dĂ©connexion ne vise pas Ă  rejeter fonciĂšrement tous les Ă©lĂ©ments importĂ©s mais Ă  conjuguer ce qui existe Ă  ce qui a Ă©tĂ© incorporĂ© pour repenser le commun et l’agir-ensemble. Le consciencisme vise au progrĂšs, par la nĂ©cessitĂ© de documenter et d’utiliser les savoirs traditionnels – source d’innovations – dans les politiques scientifiques actuelles, mais surtout d’allier la thĂ©orie Ă  la pratique. Puisque la pratique sans thĂ©orie est aveugle et la thĂ©orie sans pratique est une coquille vide. La pratique du consciencisme s’illustre en prioritĂ© dans l’éducation des masses et l’enseignement de l’histoire.

L’enseignement commun de l’histoire

Le continent africain a une histoire riche, mais mal connue, puisque toujours sous le joug de la « bibliothĂšque coloniale ». Au lendemain des indĂ©pendances, les États africains ont lancĂ© une rĂ©forme d’envergure visant Ă  se dĂ©marquer d’une histoire africaine vue uniquement sous le prisme colonial, d’oĂč l’élaboration progressive des huit tomes de L’Histoire gĂ©nĂ©rale d’Afrique encore largement inconnues par beaucoup d’africains. L’objectif de ce vaste projet est l’enseignement de l’histoire africaine du point de vue des africains au niveau de tous les États africains. Si l’idĂ©e est actĂ©e dĂšs 1964 par l’Organisation de l’UnitĂ© Africaine (OUA) puis par l’Union Africaine (UA), la mise en Ɠuvre d’un enseignement commun de l’histoire africaine dans les 54 États africains se fait toujours attendre. D’oĂč la mobilisation des artistes par l’Unesco pour ce faire.

L’enseignement commun de l’histoire africaine vise Ă  dĂ©construire l’intĂ©riorisation du phĂ©nomĂšne ethnique qui est une invention coloniale, Ă  rĂ©inventer l’État Ă  partir des institutions du passĂ©, Ă  regarder le monde avec ses propres lunettes conceptuelles, mais surtout Ă  consolider la culture de la paix qu’on retrouve dans les diffĂ©rentes traditions locales. La pĂ©dagogie historique ambitionne de parachever l’unitĂ© africaine et ainsi le panafricanisme. Le panafricanisme Ă©tant cette doctrine de l’unitĂ© politique qui oscille entre concept philosophique et mouvement sociopolitique. L’enseignement commun de l’histoire est l’une des clĂ©s de la renaissance africaine comme le mentionne l’article 7 de la Charte de la renaissance culturelle africaine de l’UA de janvier 2006. La dĂ©marche permettra par exemple une redĂ©couverte du rĂŽle structurel du matriarcat dans les sociĂ©tĂ©s africaines d’avant les grandes religions importĂ©es et la colonisation, et de replacer au centre des politiques publiques La civilisation de la femme dans la tradition africaine. L’interrogation sur le passĂ© permet de repenser le mimĂ©tisme institutionnel, facteur de crises.

Des systĂšmes politiques Ă  repenser

L’annĂ©e 2016 est marquĂ©e par une multitude de crises politiques sur le continent, consĂ©cutives Ă  l’organisation d’élections lĂ©gislatives et prĂ©sidentielles dans des États comme le Niger, le Gabon, la Gambie, le Congo ou encore l’Ouganda. Certains auteurs se sont mĂȘme demandĂ©s s’il ne faudrait pas supprimer ces Ă©lections au regard des violences qu’elles entrainent. Les tensions politiques internes que crĂ©ent la dĂ©mocratie Ă©lectorale contemporaine sont une source d’instabilitĂ© et de dĂ©votion de la dĂ©mocratie endogĂšne africaine qui existait avant l’avĂšnement du parti unique et du multipartisme du dĂ©but des annĂ©es 1990. Les problĂšmes auxquels sont confrontĂ©s beaucoup des États africains proviennent de la dĂ©structuration de l’État par le cabaret de la globalisation qui entraĂźne une violence lĂ©gitime de pouvoirs illĂ©gitimes et The Politics of State survival.

L’ordre du dĂ©sordre politique s’explique par la perpĂ©tuation de systĂšmes politiques issus de modĂšles sociĂ©taux extra-africaines et la manipulation du dĂ©sordre politique interne par certains Chefs d’État. Les pistes du renouveau ne se trouvent pas uniquement dans l’obstination d’un leadership moderne, mais par la refonte des institutions Ă©tatiques pour intĂ©grer les valeurs sociales. L’équilibre et le consensus entre les diffĂ©rentes sociĂ©tĂ©s constituent l’identitĂ© politique et culturelle que doivent intĂ©grer les nouvelles institutions. Le modĂšle du Xeer qui instaure une solidaritĂ© effective entre la sociĂ©tĂ© et les individus avec la primautĂ© du contrat est une piste Ă  consolider. Tout comme le rĂŽle que continuent de jouer les chefs traditionnels dans la rĂ©solution de conflits contemporains.

Le rĂŽle des chefs traditionnels Ă  affermir

Certains États africains reconnaissent un rĂŽle constitutionnel aux chefs traditionnels. Leur place est confirmĂ©e dans les textes constitutionnels d’États comme l’Afrique du Sud, le Niger, le Tchad, la CĂŽte d’Ivoire, ou encore le Togo etc. Nonobstant le rĂŽle politique que peuvent jouer certains chefs traditionnels, ces derniers appliquent le droit coutumier et sont souvent dans certaines contrĂ©es les seules autoritĂ©s qui reprĂ©sentent l’État. Une multitude de ces chefferies ont Ă©tĂ© instrumentalisĂ©es Ă  l’époque coloniale, mais elles occupent toujours une place centrale dans les terroirs africains. L’autoritĂ© dont elles jouissent permet souvent de mettre fin Ă  des coups d’État ou Ă  des violences sociĂ©tales. En 2015, l’intervention du Mogho Naaba (Roi du Royaume Mossi) dans la crise politique qu’a traversĂ© le Burkina Faso a permis d’éviter des pertes en vie humaine. Les chefs traditionnels jouent donc un rĂŽle dans la prĂ©vention des conflits, un rĂŽle que les États africains se doivent de prendre en compte. DĂšs 1996, onze rois d’Afrique occidentale et centrale s’étaient rĂ©unis Ă  Niamey (Niger), afin de proposer leurs mĂ©diations dans les pays minĂ©s par les guerres civiles ou d’autres conflits. Un retour de ces chefs dans le processus dĂ©cisionnel importĂ© peut ĂȘtre un gage face Ă  l’ineffectivitĂ© du droit positif dans les États d’Afrique subsaharienne. Ces chefs peuvent ĂȘtre une alternative aux dĂ©faillances Ă©tatiques comme en CĂŽte d’Ivoire. Les chefs traditionnels peuvent ĂȘtre aussi des acteurs pour rĂ©pertorier les savoirs traditionnels Ă  utiliser dans les activitĂ©s scientifiques et Ă©conomiques contemporaines.

Une Ă©conomie tournĂ©e vers l’homme 

L’Afrique s’est dĂ©jĂ  engagĂ©e dans l’industrialisation verte. Cette derniĂšre priorise l’humain et le social par la crĂ©ation d’emplois verts, la mise en place de villes intelligentes avec une planification urbaine respectueuse de l’environnement, dans la perspective d’une troisiĂšme rĂ©volution industrielle. Comme l’industrialisation verte, l’industrialisation bleue se base sur l’économie bleue et les modĂšles de rĂ©silience et de production des Ă©cosystĂšmes. Elle favorise des productions Ă  faible coĂ»t crĂ©ant des emplois et croissances durables dans des domaines comme l’énergie bleue, la biotechnologie, les bioproduits marins, l’aquaculture, la mariculture ou encore l’écotourisme cĂŽtier. L’homme est placĂ© au centre de ces deux modĂšles d’industrialisation en liaison Ă©troite avec les savoirs traditionnels. Ces deux modĂšles consistent alors en une mĂ©thode globale et systĂ©mique qui conçoit des procĂ©dĂ©s s’inspirant de l’écologie naturelle (bio-mimĂ©tisme) et de la tradition – c’est la science de la permaculture. Les Centres SonghaĂŻ qu’on retrouve au BĂ©nin, au NigĂ©ria et au LibĂ©ria, illustrent la marche combinĂ©e entre l’industrialisation verte et bleue par une bio-production, une bio-transformation, une bio-consommation, une bio-Ă©nergie, un Ă©cotourisme, la crĂ©ation de machines agricoles grĂące aux imprimantes 3D et aussi l’élaboration de semences.

 

La politique de civilisation africaine a pour ambition de replacer l’homme dans sa cosmogonie et ses savoirs ancestraux afin de DĂ©coloniser l’esprit, mais surtout d’offrir une nouvelle utopie aux populations des 54 États africains.

Adam Abdou Hassan

Comment 1

  • John KALAY16 octobre 2018 at 12 h 03 min

    Il n’y a pas de plus belle pĂ©riode de la vie que celle d’enfance. Une pĂ©riode toujours caractĂ©risĂ©e par le sentiment de joie. Une pĂ©riode oĂč rĂšgne l’altruisme. Si tout le monde pouvait ĂȘtre comme un enfant le monde serait un paradis. John KALAY

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