Attentats de Bamako : le retour de l’instabilité ?

Interview de Dr Samuel Nguembock, initialement publiée, le 24 novembre 2015, par l’Institut des Relations Internationales et Stratégiques (IRIS).

Après trois ans de lutte contre les djihadistes, le Mali semblait revenir à une certaine stabilité. Cet attentat est-il une surprise ? Qu’en est-il de la situation sécuritaire aujourd’hui et des forces en présence ?
L’attentat perpétré au cœur de Bamako n’est pas surprenant. Le Mali représente plus d’un million deux cent mille kilomètres carrés et face à la porosité des frontières et à la multiplication des groupes armés terroristes dans la région, il fallait s’attendre à ce qu’il y ait une telle menace au sein même du territoire malien, principalement au sein de la capitale où l’impact d’une telle manœuvre peut avoir des conséquences médiatiques beaucoup plus importantes. De ce point de vue, je ne serais pas surpris de voir d’autres attentats se perpétrer au cœur de la capitale malienne ou dans une autre partie du territoire représentant un symbole important dans le pays ou dans la région.

Ceci étant dit, le Mali a connu une situation relativement stable au cours des derniers mois mais il faut se rappeler que ce pays revient de loin et son armée est en pleine reconstruction. Celle-ci a en effet été déconstruite au cours des vingt dernières années. Sa capacité opérationnelle était très limitée, ses effectifs étaient relativement moyens, sous entraînés et très peu équipés, ce qui ne lui permettait pas de jouer pleinement son rôle. A cela, il faut ajouter de très fortes inégalités territoriales et sociales entre le Nord et le Sud. De vastes territoires demeurent incontrôlés, une aubaine pour des sanctuaires terroristes.

Après 2012, un processus a été enclenché dans le but de reconstruire cette armée, de manière à la rendre davantage opérationnelle et à consolider les institutions et l’autorité de l’Etat sur l’ensemble du territoire. Cela nécessite, non seulement, un moment d’adaptation et une appropriation nationale par les forces de sécurité mais aussi et surtout des moyens financiers pour la reconstruction et la mise en place des infrastructures sociales de base. A partir de ce processus de réhabilitation des forces de sécurité et de défense maliennes, il faut s’attendre à ce que les groupes armés terroristes de la région et ceux logés dans le pays profitent de cet état de fragilité pour commettre des attentats et pour régler des comptes, au-delà du gouvernement malien, aux Occidentaux qui participent à la reconstruction de l’Etat et des forces militaires et de sécurité maliennes.

Le contexte régional qui alimente aujourd’hui cette dissémination des groupes armés terroristes contribue pleinement à la possibilité d’assister à de nouveaux attentats dans les mois ou années à venir si le processus ne s’accélère pas et si la contribution internationale et des partenaires stratégiques du Mali au renforcement de la sécurité sur le territoire malien n’est pas effective.

Comment interpréter la revendication par plusieurs groupes de l’attaque de l’hôtel Radisson Blu de Bamako ? Est-ce le marqueur d’une lutte de leadership entre différents responsables djihadistes ?
Il faut relever que les groupes armés terroristes dans la bande sahélo-saharienne, et précisément au Mali, sont dans une concurrence médiatique et de positionnement. Chaque groupe armé veut accroitre sa visibilité internationale à partir du triomphe qu’il peut s’offrir à travers un attentat terroriste de cette ampleur. Il n’est pas étonnant de voir que plusieurs groupes revendiquent l’attentat qui vient d’avoir lieu à Bamako. Pour le moment, il s’agit de deux groupes : Al-Mourabitoune, de l’algérien Mokhtar Belmokhtar, qui aurait préparé ce coup en coordination avec AQMI. Un groupe qui est né en 2013 de la fusion du Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO). Le deuxième groupe ayant revendiqué cet attentat est un groupe au centre du Mali, le Front de libération du Macina (FLM), une milice d’autodéfense qui était, il y a encore quelques mois, peu connue mais qui s’est radicalisée avec une rhétorique proche de Boko Haram qui a fait allégeance à l’Etat islamique. Dans cette multitude de groupes armés, certains ont fait allégeance à l’Etat islamique et ont besoin de se positionner sur le mouvement d’internationalisation du djihadisme et d’autres seraient proches d’AQMI.

Il y a une volonté d’être vu, non seulement par l’ennemi mais aussi par les partenaires qui fournissent un appui financier et politique, qu’il s’agisse de l’Etat islamique ou d’acteurs économiques dans d’autres pays de la région et au-delà. Chaque groupe doit ainsi mettre en place une politique d’activisme médiatique. Il faut voir en cela le poids politique que certains veulent avoir dans la coordination. N’oublions pas que le processus de paix au Mali est en cours, même si plusieurs accords de paix ont été signés dans ce processus et qu’aujourd’hui, le plus complexe reste à faire. Il y a des querelles de positionnement et de leadership entre ces différents mouvements. Certains n’ont pas participé ou ont pesé d’un poids très relatif aux décisions qui ont présidé aux différents accords de paix dans le processus de dialogue inter-malien. Il faut donc trouver une issue politiquement acceptable par les différents acteurs, un exercice qui ne semble pas être parfaitement maîtrisé, du moins pour le moment.

Où en est l’accord de paix et de réconciliation conclu entre le gouvernement malien et les groupes armés du Nord Mali du 15 mai et 20 juin ? Quels efforts politiques le Mali doit-il consentir pour sortir de la crise actuelle ?
Il y a effectivement eu, dans un premier temps, des accords entre le gouvernement malien avec les groupes rebelles indépendantistes du Nord. Il y a ensuite eu des accords entre le gouvernement et la coordination des mouvements de l’Azawad. Mais il faut rappeler la complexité et la multiplication des acteurs. La légitimité de celui qui porte la parole et qui négocie ces accords a été mise en question car les attentes des uns et des autres ne se sont pas retrouvées dans les décisions intégrées dans les accords de paix. La coordination des mouvements de l’Azawad est très complexe dans la mesure où il s’agit d’une constellation de plusieurs groupes armés rebelles. Le mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA) fait partie de cette coordination, ainsi que le Haut conseil pour l’unité de l’Azawad, etc. La signature d’un accord de paix entre le gouvernement malien et la Coalition des mouvements de l’Azawad (CMA) ne reflète donc pas forcément les attentes de l’ensemble des différents mouvements de la CMA. Il faut s’attendre à ce que les revendications qui n’ont pas été portées et retenues par la CMA puissent ressurgir et s’exprimer à travers des attentats ou des menaces sécuritaires de manière à appuyer le poids politique de tel ou tel groupe.

La signature d’un cessez-le-feu ou d’un accord de paix entre les différents belligérants ne suffit pas. Le renforcement du dispositif étatique pour le contrôle des différents territoires reste essentiel et il faut s’attendre à ce que ce processus reste très longtemps en place car les problèmes ne seront pas réglés à court terme. Il va falloir poursuivre la reconstruction de l’Etat et des politiques publiques pour le développement de l’ensemble des territoires, étant donné les fortes disparités entre les régions du Mali. Dans les régions du Nord, il prédominait une absence d’écoles, d’hôpitaux, d’accès aux institutions de l’Etat, ce qui a fortement contribué aux revendications politiques portées aujourd’hui par les groupes rebelles et à travers eux les groupes armés terroristes qui arrivent de ce fait à mener une campagne de sensibilisation et de terreur auprès des populations.

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