Comprendre la transition au Tchad

Par Evelyne Taryam | TĂ©lĂ©chargez l’article

Le 20 avril 2021, les tchadiens ont appris avec effroi, la mort subite de leur prĂ©sident, le MarĂ©chal Idriss Deby Itno (MIDI) suites de blessures reçues sur le champs de bataille alors qu’il commandait ses troupes contre une horde de rebelles du Front pour l’Alternance et la Concorde au Tchad (FACT) dans la province du Kanem, si l’on s’en tien aux sources officielles. Cette disparition brutale et tragique du prĂ©sident Idriss Deby Itno a suscitĂ© bien d’inquiĂ©tude au sein de la population tchadienne et mĂȘme au delĂ  des frontiĂšres Tchadiennes.

En effet, soulignons qu’au niveau national, les pĂ©riodes prĂ©Ă©lectorales et Ă©lectorales ont Ă©tĂ© marquĂ©es par de vives tensions dans la mesure oĂč on a assistĂ© Ă  l’exclusion des figures clĂ©s des leaders des partis de l’opposition du processus Ă©lectoral. Au niveau rĂ©gional et international l’engagement du Tchad, Ă  travers le MarĂ©chal, pour la lutte contre le terrorisme dans le Sahel et le Bassin du Lac Tchad laisse perplexe ses diffĂ©rents partenaires africains et occidentaux ( français et amĂ©ricains en particuliers). La disparition du MIDI sonne pour ses partenaires comme une porte ouverte Ă  l’instabilitĂ© dans la bande du Sahel en considĂ©ration au prĂ©cĂšdent du Colonel Kadhafi en 2012.

Funeste coĂŻncidence, la veille de l’annonce de son dĂ©cĂšs, le 19 avril 2021, la Commission Ă©lectorale nationale indĂ©pendante avait annoncĂ© que 75% des rĂ©sultats des Ă©lections PrĂ©sidentielles du 11 avril 2021, avaient Ă©tĂ© remportĂ©s par le dĂ©funt PrĂ©sident Idriss Deby Itno. Or, c’est juste le lendemain de la proclamation des rĂ©sultats provisoires des Ă©lections prĂ©sidentielles, qu’officiellement on annonce le dĂ©cĂšs du prĂ©sident. Devant ce vide laissĂ© par la disparition du MIDI, et craignant que le pays renoue avec les dĂ©mons de l’instabilitĂ©s politiques qui avaient caractĂ©risĂ©s le paysage politique jusqu’en 1990, date de la prise du pouvoir par Idriss Deby, l’armĂ©e s’en part du pouvoir.

Elle a dĂ©clarĂ© publiquement la mise en place d’un Conseil Militaire de Transition (CMT), composĂ© de quinze (15) membres de l’ArmĂ©e Tchadienne. Contre toutes les dispositions pertinentes de la dĂ©volution du pouvoir en matiĂšre de vacance de poste du prĂ©sident de la RĂ©publique contenues dans la constitution, les tchadiens assistent Ă  une succession hĂ©rĂ©ditaire Ă  la magistrature suprĂȘme. Mahamat Idriss DĂ©by Itno, fils d’Idriss DĂ©by Itno, sera imposĂ© comme prĂ©sident du CMT. Justifiant sa prise de pouvoir, la junte dĂ©fend sa posture par les problĂšmes de sĂ©curitĂ© de la rĂ©gion notamment l’instabilitĂ© dans le bassin du lac Tchad, au Sahel et l’invasion imminente de N’Djamena par les rebelles du FACT. On avance par ailleurs que le PrĂ©sident de l’AssemblĂ©e nationale aurait refusĂ© d’accepter la succession Ă©tablie selon la norme constitutionnelle (Articles 82 et 240).

Peu aprĂšs sa crĂ©ation, le CMT prĂ©sidĂ© par Mahamat Idriss Deby Itno a promulguĂ© une Charte de la Transition, laquelle charte prĂ©voit une pĂ©riode de Transition de 18 mois renouvelable une fois. Dans la foulĂ©e, la Constitution a Ă©tĂ© suspendue, le gouvernement dissout de mĂȘme que l’assemblĂ©e nationale, les frontiĂšres sont fermĂ©es temporairement ainsi l’instauration d’un couvre-feu participent des premiers faits d’armes du CMT. Toutes ces mesures ont Ă©tĂ© levĂ©es quelques jours aprĂšs un rĂ©tropĂ©dalage du CMT.

Une lecture fine de la Charte de transition laisse apparaitre que le prĂ©sident du CMT s’arroge tous les pouvoirs (nomination du PM et Membres du gouvernement, nomination des membres du Conseil National de la Transition, pouvoir de proroger la pĂ©riode de la transition, etc. ). Nous sommes loin d’assister Ă  une transition apaiser et inclusif.
Bien que cette succession hĂ©rĂ©ditaire reste contestĂ©e par une bonne partie des tchadiens (comme en tĂ©moignent les manifestations du 27 avril 2021 violemment rĂ©primĂ©es par les forces de dĂ©fense et de sĂ©curitĂ©) la communautĂ© internationale surtout la France, voit d’un Ɠil complice et soutient tacitement la succession hĂ©rĂ©ditaire du pouvoir au nom de la stabilitĂ© rĂ©gionale.

Conscient du soutien indĂ©fectible de la France, comme l’a si bien dit le PrĂ©sident Français Emmanuel Macron lors des obsĂšques de MIDI, la junte dĂ©roule sereinement et tranquillement ses activitĂ©s en nommant le 02 mai 2021, Pahimi Padacke Albert comme Premier Ministre . Cette nomination vient sonnĂ© le glas de tous ceux et celles qui aspirent Ă  un changement aprĂšs la disparition du MIDI. C’est une douche froide. La nomination des membres du gouvernement a obĂ©i Ă  la logique clanique, familiale et tribale, pratiquĂ©e depuis par le dĂ©funt prĂ©sident MIDI.
Face Ă  cette situation, les Tchadiens attendaient que l’UA, au moins leur vienne Ă  la rescousse en considĂ©ration des principes et valeur de l’UA qui condamnent tout pouvoir anticonstitutionnel, mais hĂ©las !

L’UA, contrairement au prĂ©cĂšdent Malien, ne condamne pas le Tchad, mais prĂ©fĂšre plutĂŽt accompagner la junte (sic!). La position de chauve-souris dans laquelle se trouve aujourd’hui l’UA face Ă  la crise Tchadienne s’explique par plusieurs facteurs au rang desquelles figurent :
– Le prĂ©sident de la Commission africaine, Moussa Faki Mahamat, proche parent du pouvoir. Il a Ă©tĂ© ministre des Affaires Ă©trangĂšres, Premier Ministre. Il se voit mal entrain de se tirer la balle aux pieds en condamnant ses frĂšres. Apres tout, il rentrera au pays, et qui sait, s’il ne se positionne pas pour la magistrature suprĂȘme. Il doit mĂ©nager les siens ;
– Le chiffon rouge : l’éventuel retrait des troupes tchadiens des thĂ©Ăątres des opĂ©rations extĂ©rieures de lutte contre le terrorisme. De peur qu’une condamnation du Tchad amĂšnerait les nouvelles autoritĂ©s politiques, la junte, Ă  se dĂ©sengager dans la lutte contre le terrorisme au Sahel en rapatriant ses troupes ; on prĂ©fĂšre sacrifier le peuple tchadien au profit de la stabilitĂ© et de l’équilibre rĂ©gionale ;
– Un retrait subit des troupes Tchadiennes fragiliserait la position française qui s’apprĂȘte Ă  quitter le Sahel. Les Ă©lections s’approchent en France, et le pouvoirs risquerait de subir les critiques pour n’avoir pu stabiliser le sahel et entrainer la mort de plusieurs soldats français. Afin de couper l’herbe au pieds des dĂ©tracteurs, les autoritĂ©s politiques françaises envisagent de quitter le Sahel, alors il faut trouver un remplaçant. On compte sur le Tchad pour assurer le rĂŽle puisqu’il le fait dĂ©jĂ  si bien.

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