Kwamou Eva Feukeu – Redéfinir la diaspora africaine en tant qu’élément constitutif d’un Etat

Opinion Libre de Kwamou Eva Feukeu

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Kwamou Eva Feukeu est une étudiante afro-européenne à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris et en Droit à Paris la Sorbonne. Cette année, elle effectue une tournée panafricaine qui l’amène du Niger à l’Ethiopie en passant par l’Ouganda au sein d’organismes africains et de familles africaines. Elle travaille actuellement en matière de politique diasporique au sein d’une institution supranationale panafricaine.

260 millions d’afro-descendants .Une définition de l’Afro-diaspora sous le statut juridique de l’Etat en ferait le 4e État le plus peuplé au monde (juste après les États-Unis et bien devant la Russie que le Nigeria est le seul pays africain à surpasser). Plusieurs conséquences juridiques s’ensuivraient : une représentation diplomatique, une armée propre, la possibilité d’imprimer sa propre monnaie, de prélever des taxes et impôts. Autant d’avantages qui se heurtent cependant à divers points d’interrogation tant sur le plan juridique que social au cœur de la définition de l’Etat : Territoire, Nation, Autorité politique ayant les capacités d’unir et de contrôler exprimant ainsi sa souveraineté. Ces 3 éléments peuvent alors se résumer en un mot : Unité. Qu’elle soit géographique, sociale ou politique.

Envisager la possibilité d’un État virtuel…

Cette absence d’unité est cependant une caractéristique que l’on peut généralement déplorer dans la dynamique continentale. En effet, quel Etat multiethnique africain à ce jour peut voir qualifier sa population de « nation »? Dans un objectif de plus grande clarté face aux grands termes, nous nous inspirerons de la définition Larousse pour parler d’homogénéité culturelle de Jean-Christophe Merle bien que Pierre Lévy nous invite à séparer la Culture de l’Etat. Par territoire, nous entendons souvent un espace géographique dominé par l’Être humain sur lequel l’Etat exerce sa souveraineté. Il doit donc être déterminé par des frontières définies et contrôlées. Par Nation, nous comprenons une population présentant une certaine homogénéité culturelle et ayant vocation à et désir de vivre-ensemble. Enfin, l’autorité politique est souvent perçue comme devant être administrée, institutionnalisée pour pouvoir protéger, préserver et représenter une population déterminée face à elle-même et à des menaces extérieures. Chacune de ces différentes définitions comportent des implications et connotations qui seront au cœur de notre argumentaire.

L‘Union africaine (UA) a défini l’appartenance à la diaspora africaine comme «tout afro-descendant vivant en-dehors du Continent, quelles que soient sa citoyenneté ou nationalité, et présentant un intérêt à contribuer au développement de celui-ci et à la construction de l’Union africaine». Deux critères en ressortent : la filiation et l’intérêt. Curieux choix qui conserve le droit du sang (jus sanguinis) et remplace le droit du sol (jus soli) par le droit de l’intérêt (jus curiositatis*). Il est également curieux que le « droit de l’intérêt » ne correspond pas nécessairement au « droit de la contribution ». Le terme « intérêt » est donc volontairement vague car à vocation intégratrice, englobante. Cela conduit à envisager la possibilité d’un État virtuel ayant autorité non sur le champ réel, sur un territoire fixé, encadré de frontières définissables et limitatrices, mais sur le monde entier. Tel un forum, les login et mot de passe nécessaires sont simplement votre filiation et votre intérêt.

Envisager la possibilité d’un État virtuel ayant autorité non sur le champ réel, sur un territoire fixé, encadré de frontières définissables et limitatrices, mais sur le monde entier. Tel un forum, les login et mot de passe nécessaires sont simplement votre filiation et votre intérêt.

Une sorte d’équivalent de l’oumma musulmane. Rappelons d’ailleurs que techniquement, tout être humain est un afro-descendant, ce qui ferait donc tout aussi théoriquement de tout africaniste un membre de l’Afro-diaspora. Le terme vague d’afro-descendant est alors ici à comprendre comme une manière pudique d’aborder la question chromatique sans la nommer car soulevant la question de l’intégration réelle et effective des peuples non-Noirs (Arabes, Blancs, notamment) dans l’avenir socioculturel et politique, et non seulement économique, du Continent. Quoi qu’il en soit, la définition de cet Etat afro-diasporique bouleverse les définitions traditionnelles de l’Etat wébérien qu’on s’efforce d’appliquer, régulièrement en vain, – et souvent à tort – aux Etats africains. En effet, quel vivre-ensemble, quel monopole de la violence dans un Etat souverain sur plus de 250 millions de personnes répartis sur 510 millions de kilomètres carrés ? Et ainsi, sur quel territoire ?

La construction d’une identité

Commençons donc par la notion de «VIVRE-ENSEMBLE». Métissage culturel et/ou biologique, migrations de travail, regroupement familial, afro-descendance datant d’une génération à 5 siècles, dispersions géographiques sur tout l’Occident ainsi qu’en Amérique et en Asie jusqu’en Océanie, les mbenguistes7 sont partout et connaissent des réalités de conscience de couleur (et non de classe) similaires. On entend par là la division de Tommie Shelby entre identité fine et identité épaisse. L’identité fine correspond à l’identité prescrite développée sur un ensemble de traitements et de perceptions ayant amené à la conscience d’appartenance à un groupe social – les Noirs.

Elle s’oppose à la notion d’identité épaisse, proche de la définition d’Edward W. Saïd de la culture, à savoir un ensemble de produits, de mentalités qui permettent d’identifier et de se faire identifier à la culture noire et à sa communauté. Une identité à la fois subie et choisie qui se distingue de l’identité africaine. On reconnaît cependant une confusion de ces deux identités (africaine et noire) dans les discours du quotidien pour des similitudes d’éléments culturels connus internationalement (urban culture : musique, vocabulaire) et de situations (pauvreté, domination chromatique). Similitudes qu’il faut nuancer, certes.

Cependant, la construction d’une identité et la conscience d’une appartenance ne sont-ils pas au cœur de cette construction qu’on a longtemps qualifiée de «nationale»? Cette conscience d’appartenance est un élément nécessaire aux 6 critères de définition d’une diaspora selon Safran argument repris par le droit de l’intérêt de la définition de l’UA. Cependant, qu’en est-il de la mémoire collective orientée vers un centre précis et la volonté de maintenir ou restaurer la culture et tradition d’origine qu’évoque Safran? Si l’on postule que le panafricanisme est un concept de mbenguistes, cela se tient toujours. Le centre est l’Afrique ; la culture, un ensemble d’éléments identifiés par les Africains eux-mêmes ou l’usage (le fameux «c’est ça l’Afrique» prononcé pour justifier de tout comportement inhabituel à la culture locale non-africaine).

Un appel à une multi-nationalité intra- et extra-africaine

La question de l’intégration à la société non-africaine posée par Safran comme élément clé du sentiment diasporique est également résolue par l’argument de l’intérêt, combiné à la possibilité d’une double nationalité à l’État afro-diasporique. Reste à cependant prendre en compte le fait qu’à ce jour, aucun groupe politique permanent n’a pu représenter la cause afro-diasporique, rien que ces 4 derniers siècles pourtant marqués par la pluralité de mouvements syndicaux ou coalitionnaires. On lui doit cependant le développement de l’afro-networking qui serait propre à inspirer les institutions comme l’Union africaine pour une forme plus moderne de panafricanisme. En effet, un mbenguiste comme toute personne vit avant tout pour sa famille et lui-même. Le networking est donc une opportunité lui permettant d’avancer ses intérêts personnels sous couvert panafricain et permettant ainsi à l’UA en tant qu’union de citoyens africains et afro-descendants, de les accompagner dans un processus profitant à tou-te-s.

Pouvoir s’affirmer africain, occidental et membre de la diaspora permettrait de résoudre de nombreuses questions identitaires et ainsi de prévenir une radicalisation potentielle de la jeunesse africaine notamment issue des migrations postcoloniales, radicalisation qui serait à ce jour sans conséquences connues et cela peut et doit nous inquiéter : la question mérite donc plus profondes analyses.

TERRITOIRE. De plus, Safran dispose d’un 6e critère de définition de la diaspora, à savoir le concept eschatologique, ou en termes moins savants, le mythe du retour à la Terre d’origine qui entretient le lien avec la Maison où nous ne sommes point (encore). Pour les Africains de la diaspora de 1e et 2e génération, c’est la Terre natale. Pour ceux aux origines plus éloignées dans le temps, c’est la fameuse «Promised Land» comme le Shashamané (Ethiopie) des rastafaris accordé par le Ras Teferi Mekonnen Hailé Selassié en 1948. Cependant, passée une génération hors du Continent, un(e) mbenguiste est-il/elle davantage national d’un pays ou plutôt un(e) homme/ femme du Continent ? Pour reprendre l’analogie numérique, l’État afro-diasporique relance le débat de la possibilité d’un État virtuel, l’officialisation d’une appartenance qui ne connaît, à ce jour, aucune représentation matérielle. C’est également une façon de contourner le principe d’intangibilité des frontières prononcée par l’Union africaine, et jusqu’alors seulement fléchi par 2 fois en 52 ans (Erythrée en 1993, Soudan du sud en 2011). En effet, cette union des Africains de la diaspora par ethnie et/ou par nation est un reflet de potentielle unité nationale extraterritoriale. Par cette stratégie virtuelle, on unit ainsi les haoussas du Niger, du Nigeria, du Cameroun, de Côte d’ivoire, du Tchad et du Soudan, les tamasheq de Libye, d’Algérie, du Burkina, du Niger et du Mali, et les Afrikaners d’Afrique du sud, de Namibie et du Botswana. Le tout sous une coupole panafricaine.

On pourrait poursuivre plus loin avec la question des langues et prolonger la question de la confusion identité noire/identité africaine au sein de ce nouvel État afro-diasporique. Cependant, vous l’aurez compris, il ne s’agit pas ici d’être à l’origine d’un nouvel État. Quoique, pouvoir s’affirmer africain, occidental et membre de la diaspora permettrait de résoudre de nombreuses questions identitaires et ainsi de prévenir une radicalisation potentielle de la jeunesse africaine notamment issue des migrations postcoloniales, radicalisation qui serait à ce jour sans conséquences connues et cela peut et doit nous inquiéter : la question mérite donc plus profondes analyses. La question de l’afro-diaspora est la possibilité pour nos États de remettre en cause leur organisation en structure étatique à un moment où étudiants Oromos et gouvernement Tigrai s’opposent en Ethiopie et où des populations se murent dans le silence pour protéger leurs enfants en Algérie, au Cameroun et en RDC. Une remise en cause au profit d’une plus grande flexibilité structurelle, un appel à une multinationalité intra- et extra-africaine généralisée à tous les pays africains, mais surtout un appel à l’organisation de cette afro-diaspora. Je terminerai donc sur un aspect essentiel : l’usage d’une monnaie commune à tout l’État diasporique et à toute l’Afrique permettant de faciliter les transferts monétaires sans passer par le dollar, le yuan ou le franc CFA. Cela nous amène à repenser les taxes et impôts prélevés par cet État afro-diasporique. Remplaceraient-elles alors ces transferts ou même l’impôt que paie la diaspora éthiopienne à son État ? L’État afro-diasporique pourrait-il être remplacé par l’UA, lui accordant ainsi un plus grand poids démographique, économique et donc diplomatique ? A vos paris et à vos actes.

 

Eva-TF

 

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