Source: Le Magazine.Info | Décembre 2008
Le conflit qui sĂ©vit depuis 1996 en RĂ©publique DĂ©mocratique du Congo connait un nouveau pic de violence depuis le mois aoĂ»t dernier. Interview de Said Abass Ahamed, mĂ©diateur de paix dans ce pays du centre de lâAfrique.
Lemagazine.info : Quelles sont les raisons de ce nouveau conflit qui sĂ©vit depuis lâĂ©tĂ© ?
Said Abass Ahamed : Je ne sais pas si on peut parler de nouveau conflit car les acteurs sont les mĂȘmes et les motivations sont plus ou moins connues depuis 1996. Un nouveau pic de violence serait une expression plus adĂ©quate. A la fin de gĂ©nocide rwandais, une sorte dâĂ©change de population avec le Congo sâest rĂ©alisĂ©. Les ex-FAR (NDLR : Force ArmĂ©e Rwandaise), de la communautĂ© Hutu, Ă lâorigine du gĂ©nocide rwandais sur la communautĂ© Tutsi, se sont rĂ©fugiĂ©s au Nord-Kivu, rĂ©gion congolaise. Par peur, certains Tutsis congolais ont quittĂ© cette rĂ©gion pour le Rwanda. Aujourdâhui encore, il arrive en effet aux ex-FAR de « casser du Tutsi ». Laurent Nkunda, gĂ©nĂ©ral congolais dâorigine Tutsi et chefs des rebelles, se considĂšre comme seul garant de la sĂ©curitĂ© de sa communautĂ© dans cette rĂ©gion. Il rĂ©clame le retour des Hutus rwandais au Rwanda, ainsi que le retour au pays des Tutsis congolais.
Nkunda demande depuis le mois de janvier dernier Ă rencontrer Joseph DĂ©sirĂ© Kabila, le prĂ©sident du Congo. Celui-ci refuse cependant de le recevoir, le considĂ©rant avant tout comme un bandit. Dans le mĂȘme temps, les militaires, en particulier le colonel Delphin, numĂ©ro 2 de la 8Ăšme rĂ©gion militaire, qui couvre le Nord-Kivu, estiment que Nkunda doit ĂȘtre dĂ©sarmĂ© par la force. Ce sont donc, comme souvent, les militaires qui ont pris lâinitiative de lâoffensive du 28 aoĂ»t dernier, qui a entraĂźnĂ© ce nouveau pic de violence. Pourtant, lâarmĂ©e congolaise est faible et se trouve ainsi dĂ©faite Ă chaque affrontement avec les rebelles. Il faut prĂ©ciser que Kabila maintient volontairement la faiblesse de lâarmĂ©e gouvernementale, car, avec une puissance militaire forte, son pouvoir pourrait ĂȘtre contestĂ©, chose quâil nâaccepte pas.
Lemagazine.info : Le 7 novembre dernier sâest tenu en urgence un sommet Ă Nairobi, rĂ©unissant les principaux chefs dâEtat africains, sans toutefois que Laurent Nkunda ait Ă©tĂ© invitĂ©. Comment analysez-vous cette dĂ©cision ?
Said Abass Ahamed : Il est clair quâon ne peut pas exclure un acteur clĂ©. Soit on exclut Laurent Nkunda des discussions et on nâobtiendra jamais la paix, soit on lâinvite Ă sâasseoir avec nous et il y a un espoir. Mais sâil est invitĂ©, alors tous les autres chefs de guerre exigeront la mĂȘme chose et voudront ĂȘtre traitĂ©s comme des chefs dâEtat. En tant que mĂ©diateur, je pense quâil faut organiser une rencontre entre proches de Laurent Nkunda et proches de Joseph Kabila. Quitte Ă dire aprĂšs que cette rencontre nâa jamais eu lieu pour ne blesser personne. Câest de la diplomatie en sous-marin mais cette pratique existe depuis longtemps.
Lemagazine.info : Le SecrĂ©taire gĂ©nĂ©ral des Nations Unies, Ban Ki-Moon, a expliquĂ© Ă la sortie de cette rencontre que lâarrĂȘt du conflit reposait avant tout sur une « volontĂ© politique ». Etes-vous de cet avis ?
Said Abass Ahamed : Je suis Ă©videmment tout Ă fait dâaccord avec cette analyse. Les instruments de paix au Congo ne manquent pas. Il existe suffisamment dâaccords sur le papier pour rĂ©gler tous les problĂšmes du pays. Le vrai problĂšme rĂ©side dans la volontĂ© des acteurs. Ils nâont pas confiance entre eux et font monter les enchĂšres en permanence.
Lemagazine.info : Ban Ki-Moon a Ă©galement dĂ©clarĂ© que la crise au Congo Ă©tait : « lâune des plus grandes tragĂ©dies humaine de notre Histoire ». Est-ce votre sentiment ?
Said Abass Ahamed : Bien sûr. Depuis 1996, plus de 5 400 000 morts ont été recensés au Congo, ce qui en fait le conflit le plus meurtrier depuis la Shoah.
Lemagazine.info : Certains observateurs sur place dĂ©noncent la passivitĂ© des Casques Bleus pour protĂ©ger la population. Sont-ils dĂ©passĂ©s par lâampleur du conflit ?
Said Abass Ahamed : La dĂ©mission du commandant espagnol Vicente Diaz de Villegas, en charge de la MONUC est trĂšs significative. Il a rĂ©agi Ă lâinverse du gĂ©nĂ©ral Dallaire au moment du gĂ©nocide rwandais. Celui-ci avait effectivement dĂ©cidĂ© de rester et de faire semblant de gĂ©rer la situation, alors quâil nâavait pas les moyens dâagir. Le gĂ©nĂ©ral espagnol, au contraire, a clairement choisi de dĂ©noncer la situation des casques bleus en dĂ©missionnant.
La MONUC compte 17 000 hommes pour un territoire qui fait trois fois et demi la France. Au Kosovo, dont la superficie correspond Ă un mouchoir de poche comparĂ©e Ă celle du Congo, on a pu compter jusquâĂ 49 000 membres de la KFOR au moment de la crise (NDLR : la Kosovo Force, mise en place par lâOTAN. Son effectif actuel est estimĂ© Ă 16 000 soldats). Face Ă lâampleur de la mobilisation internationale dans les Balkans, il apparait clairement que les casques bleus sont en nombre insuffisant au Congo.
Lemagazine.info : Ce conflit a provoquĂ© dâimportants mouvements de population. Les Congolais sont-ils condamnĂ©s Ă un exode perpĂ©tuel ?
Said Abass Ahamed : Non, car les déplacements de population ont lieu principalement au Nord-Kivu. Malheureusement, seul ce problÚme intéresse les journalistes, qui se concentrent uniquement sur les conséquences humanitaires du conflit. Ce problÚme est évidemment sérieux, et je suis le premier à le condamner, mais sans solution politique préalable, il restera difficile de répondre efficacement à la question humanitaire.
Lemagazine.info : Pensez-vous quâun jour le Congo connaĂźtra la paix ?
Said Abass Ahamed : Evidemment. Nkunda est Ă la tĂȘte dâun groupe armĂ© trĂšs fort mais ses ressources sont faibles. Le gouvernement est dans une situation totalement inverse. Un jour ou lâautre, Nkunda atteindra lui-mĂȘme ses propres limites et il sera obligĂ© de nĂ©gocier.