Le Rwanda: Une politique d’ouverture, premier pas vers une Afrique sans visa?

Par Samia Chabouni (avec Mahaut Landaz)

RÉSUMÉ:
Le prĂ©sent article explore la question de la suppression des visas entre les pays africains, et donc de la libre circulation des personnes, mais aussi des biens et services. En effet, le rĂ©cent exemple du Rwanda confirme que la politique d’ouverture des frontiĂšres, encouragĂ©e notamment par la Banque africaine de dĂ©veloppement (BAD), s’inscrit dans une double tendance Ă  la libĂ©ralisation Ă©conomique et Ă  l’intĂ©gration rĂ©gionale. Il apparaĂźt ainsi que les Etats africains les plus avancĂ©s sur la voie de la libĂ©ralisation des visas sont les membres des communautĂ©s Ă©conomiques rĂ©gionales les plus intĂ©grĂ©es, Ă  savoir les Etats de la CommunautĂ© Ă©conomique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et de la CommunautĂ© d’Afrique de l’Est (EAC). Toutefois, ces expĂ©riences pointent l’importance des intĂ©rĂȘts nationaux stratĂ©giques ponctuels dans ce type de coopĂ©ration, puisque les dĂ©saccords entre Etats voisins ou encore des considĂ©rations de sĂ©curitĂ© viennent freiner les processus. Pourtant, les exemples du Rwanda, de la Tunisie ou encore plus rĂ©cemment du Ghana dĂ©montrent l’émergence d’une volontĂ© de stimuler le commerce intra-africain par ce biais. C’est donc pour l’instant, malgrĂ© le soutien de l’Union Africaine (UA), par des initiatives rĂ©gionales et bilatĂ©rales que se construit progressivement la libre circulation en Afrique, face Ă  la multiplicitĂ© des obstacles politiques mais aussi techniques.

PROBLÉMATIQUE:
Quels sont les enjeux de la libre circulation dans le contexte africain ? Comment caractĂ©riser et Ă©valuer les initiatives prises jusqu’ici ? A quels obstacles la gĂ©nĂ©ralisation de la libre circulation se heurte-t-elle au sein des processus rĂ©gionaux d’intĂ©gration ?

CONTEXTE DE LA NOTE:
Alors que le Rwanda a dĂ©cidĂ© de faciliter l’accĂšs Ă  son territoire pour les pays africains, la CĂŽte d’Ivoire a, elle, rĂ©cemment durci les critĂšres d’entrĂ©e suite Ă  l’attentat de Grand Bassam en mars 2016. Ces deux exemples illustrent les enjeux et les obstacles qui freinent encore l’atteinte de la libre circulation sur le continent. L’enjeu de l’intĂ©gration et de l’unitĂ© de l’Afrique d’abord, qui, comme pour l’Union EuropĂ©enne, semble passer par une intĂ©gration rĂ©gionale des marchĂ©s et la stimulation des Ă©changes intra-africains. L’enjeu du dĂ©veloppement, puisque l’exemple rwandais semble pointer les impacts positifs sur le dĂ©veloppement du pays, mĂȘme si la bonne gestion publique renforce sans doute ces effets en attirant les investissements et les travailleurs. Toutefois, ils montrent Ă©galement que ces obstacles s’inscrivent souvent dans des logiques de compĂ©tition entre les pays voisins, et que mĂȘme dans les cadres rĂ©gionaux, la coopĂ©ration reste tributaire de dĂ©cisions unilatĂ©rales fondĂ©es sur des intĂ©rĂȘts nationaux. Dans cette optique, il semble nĂ©cessaire, d’autant plus dans la pĂ©riode actuelle d’instabilitĂ© et de menace commune, de relancer les dynamiques de l’intĂ©gration Ă©conomique afin de crĂ©er une communautĂ© d’intĂ©rĂȘt en faveur de la libre circulation.

IDÉES MAJEURES:
Alors que les organisations multilatĂ©rales africaines continentales, au premier rang duquel la BAD et l’UA, et rĂ©gionales comme l’East African Community (EAC) ou la CommunautĂ© Ă©conomique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), affichent un objectif de libre circulation et de suppression des visas, on observe que ce processus reste trĂšs lent et confrontĂ© Ă  de nombreux blocages. L’ exemple de la libĂ©ralisation des visas au Rwanda montre pourtant qu’inscrit dans une politique plus large de libĂ©ralisation Ă©conomique et de meilleure gestion publique, cette ouverture est bĂ©nĂ©fique Ă  la fois pour le dĂ©veloppement et la stabilisation rĂ©gionale. Plus gĂ©nĂ©ralement, il apparaĂźt que la coopĂ©ration en matiĂšre de libre circulation est un axe important pour les diffĂ©rentes organisations Ă©conomiques rĂ©gionales, notamment l’EAC et la CEDEAO.
Toutefois, l’exemple rwandais illustre Ă©galement les obstacles Ă  cette ouverture, notamment lorsque la libĂ©ralisation Ă©conomique ne s’accompagne pas d’une libĂ©ralisation politique, ce qui, mis en perspective avec la dynamique d’intĂ©gration rĂ©gionale qu’elle implique, pose problĂšme en terme de coopĂ©ration. Par exemple, on observe que la nature tendue des relations entre Kigali et Kinshasa a bloquĂ© pendant de nombreuses annĂ©es les discussions sur la libre circulation au sein de la CommunautĂ© Economique des Pays des Grands Lacs (CEPGL). Plus gĂ©nĂ©ralement, la libre-circulation mise en oeuvre par l’intĂ©gration rĂ©gionale est Ă©galement confrontĂ©e Ă  des blocages liĂ©s aux dispositions souverainistes de certains Etats, et accentuĂ©s en pĂ©riode de crise sĂ©curitaire, comme l’ont montrĂ© les rĂ©cents reculs ivoiriens ou guinĂ©ens. Pourtant, l’exemple rwandais semple bien indiquer les bĂ©nĂ©fices de cette politique en terme de dĂ©veloppement Ă©conomique.

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