Pourquoi gagnerait-t-on à rétablir la Constitution guinéenne du 07 mai 2010 ?

Par Augustin Mansaré, Doctorant en droit public à l’UCAD-Dakar

 

La mise en place d’une nouvelle constitution par le Comité National du Rassemblement et du Développement (CNRD) porterait à six le nombre de constitutions que le pays aura connues.  En l’espace de onze ans, le pays connaitrait trois constitutions, soit en moyenne une constitution tous les quatre ans. Cette instabilité constitutionnelle n’est pas de nature à assurer la sécurité juridique et donc l’Etat de droit.

Au moins trois arguments militent en faveur d’un rétablissement de la constitution de 2010 :

  1. La sacralisation du texte constitutionnel

En 2020, on a assisté à un débat pour le moins violent entre partisans et opposants d’un changement constitutionnel, au point où on en est venu à traiter la constitution en vigueur de « chiffon ». Cela a conduit à conférer à la constitution un caractère banal. Pourtant, il s’agissait là du texte le plus important de l’Etat. Peu importe s’il n’avait pas été soumis à référendum. L’essentiel est qu’il était à la base de tous les actes légaux et réglementaires pris depuis 2010 et surtout portait-il les aspirations de tout un peuple, en ce sens que sa mise en place était consécutive à une période particulièrement tumultueuse pour le pays et était censée inaugurer une nouvelle ère pour la démocratie et l’Etat de droit.

En Allemagne, le concept de ‘‘patriotisme constitutionnel’’ (Voir Jürgen Habermas, Frédérick-Guillaume Dufour, Patriotisme constitutionnel et nationalisme, Montréal, Editions Liber, 230p.) a trouvé son terreau dans la volonté du peuple allemand à respecter les règles fondamentales qu’il s’était donné à un moment donné de son histoire. Bien que la constitution de 1949 fût conçue comme « provisoire », ayant pour vocation de demeurer jusqu’à la réunification des deux Allemagnes, ce texte a résisté au temps et se présente aujourd’hui comme l’un des textes constitutionnels les plus mieux établis et surtout les mieux respectés. Contrairement à la France et à d’autres Etats où il existe des personnalités historiques considérées comme des figures emblématiques et faisant l’unanimité auprès des citoyens de ces Etats, en Allemagne, c’est plutôt la constitution qui joue ce rôle. D’où le concept de patriotisme constitutionnel. En Guinée, il est tout à fait possible de conférer cette fonction à la constitution de 2010. Ce serait le meilleur hommage qu’on rendrait à toutes les personnes tombées pour sa défense.

  1. La conjuration du risque de changement constitutionnel

Le rétablissement de la constitution de 2010 permettra de conjurer le risque de changement constitutionnel désormais ancré dans la vie politique guinéenne. En effet, qu’est-ce qui empêcherait le prochain président de changer la constitution, eu égard aux précédents en la matière ? Rien du tout, à part peut-être la crainte d’un coup d’Etat. En revanche, le rétablissement de la constitution de 2010 présenterait une vertu protectrice des droits et principes fondamentaux contenus dans le texte constitutionnel. A l’épreuve des évènements récents, il s’est avéré que les intangibilités constitutionnelles (prévues dans la Constitution de 2010 à l’article 154) ne suffisent pas pour préserver les valeurs essentielles portées par une constitution. Plus que la lettre donc, c’est l’esprit de la constitution qui compte le plus.  Le rétablissement de la constitution de 2010 serait un gage de pérennité et de solidité. Difficile d’imaginer après, pour paraphraser Rawlings, que le diable en personne puisse avoir le courage d’y toucher.

  1. Un gain de temps

Le rétablissement de la constitution de 2010 permettrait aux autorités de la transition, en l’occurrence le futur CNT, de focaliser leurs travaux sur l’amélioration de ce texte. Cela pourrait consister à procéder à la suppression de quelques institutions qui n’apparaitraient pas comme utiles ou à ajouter toutes dispositions pertinentes. Certaines institutions comme le Médiateur de la République, l’Institution Nationale indépendante des droits humains (INIDH) ou encore le Conseil Economique et Social (CES) relèvent plus d’une reforme de confort que d’une reforme de crise. En réalité, l’apport de ces institutions à l’amélioration de la gouvernance publique est sujet à caution. A défaut de les supprimer, on pourrait rationaliser leur composition (l’INIDH compte 33 membres, le CES compte 45 membres) et définir plus clairement leurs rôles.  On partirait ainsi de l’existant, d’autant que plus d’une année après l’adoption de la dernière constitution le 22 mars 2020, sur la dizaine d’institutions qu’elle prévoit, seule l’Assemblée nationale et la Haute Autorité de la Communication (HAC) avaient été recomposées conformément à elle. Il en résulte que l’organisation institutionnelle actuelle de la Guinée est plus proche de la Constitution du 07 mai 2010 que de celle du 22 mars 2020.

En gros, on mettrait à profit la transition pour poser les jalons d’une véritable démocratie.

Augustin Mansaré, Doctorant en droit public à l’UCAD-Dakar

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